Une science qui donne trop à voir ?
Dans la revue La Recherche d’octobre 2008, Jean-Marc Levy-Leblond tient une petite chronique de réflexion sur la science. Ce mois-ci, il se demande si la science, en particulier astronomique, ne donne pas trop à voir, grâce à des images spectaculaires, et ne rend pas le quidam blasé et imperméable à la vraie science, celle qui se pose des questions et élabore des théories. Il prétend que les participants aux séances d’observations sont « désappointés » :
« Ce désappointement, quiconque a participé cet été aux nombreux festivals d’astronomie et Nuits des étoiles, peut en témoigner, comme d’une mélancolique sourdine accompagnant l’intérêt réel et passionné des participants. »
Monsieur Leblond n’aurait-il pas confondu « mélancolie » et concentration, déception et attention soutenue ? Comment repérer objectivement la mélancolie, alors même que les séances d’observation organisées par les amateurs sont avant tout des lieux où les questions fusent, où les réponses sont écoutées avec le plus grand respect, dans le silence vespéral, des lieux où les organisateurs développent des réponses, en fait des lieux où l’on parle et l’on écoute plus longtemps que l’on observe.
J’organise depuis longtemps ce type de balades sous les étoiles pour des vacanciers chaque été. Je n’ai jamais ressenti cette mélancolie chez ceux qui me suivaient. Il existe des gens aigris, blasés, et j’en ai connu un ou deux. Je me souviens de la réflexion d’un jeune homme, alors que je montrais des taches sur le soleil au télescope : « Tout ça pour des taches ! ». Ce genre de remarque désappointée (ici le mot prend toute sa saveur !) est si rare qu’elle a marqué ma mémoire. Mais si la vingtaine de personnes qui m’accompagne régulièrement et qui met l’œil à l’oculaire est enchantée de voir un bijou comme Saturne, elle s’en détache vite pour se plonger dans les discussions qui animent les soirées. Au bout d’un moment, très souvent, le télescope se trouve esseulé dans la pénombre, les échanges ayant pris le pas sur les observations. C’est alors à moi de relancer une autre observation, laquelle donnera naissance à d’autres échanges…
Ne croyez pas que je vous livre ici un témoignage d’animatrice appareillée d’œillères, enfermée dans sa mission pédagogique. J’ai aussi vécu les soirées d’observation sur le versant du public. À Saint Michel l’observatoire par exemple, je n’ai jamais vu de personnes déçues, ou si elles ont été déçues par une mauvaise qualité d’images, elles ne le sont jamais par les discussions qui les accompagnent.
Si la science donne à voir de magnifiques images, pourquoi s’en plaindrait-on ? N’est-ce pas plutôt dans cette perception biaisée qu’on voit le désappointement ? L’émerveillement est un moteur intellectuel. Je ne pense pas une seconde que le cerveau humain se contente de l’image sans jamais poser une seule question sur cette image, ne serait-ce que sur la réalité des couleurs et ce qu’elles représentent. C’est d’ailleurs ce genre de questionnements qui est fréquemment posé : la couleur des étoiles est-elle vraie ? Pourquoi des étoiles bleues ou rouges ?
Si les images sont livrées au public sans commentaire, dans le but d’éblouir, ce n’est pas le fait des scientifiques, mais bien celui des médias, qui, eux, par essence, ne privilégient que le spectaculaire. Le danger est alors de donner trop à voir et ne rien en dire. Mais les clubs d’astronomie font un vrai travail pédagogique lors des nuits des étoiles. Si monsieur Leblond a été désappointé, c’est peut-être que, étant physicien, il sait tout, et que la capacité à l’émerveillement l’a quitté.
Illustration : Image processing by the U.S Geological Survey, Flagstaff, Arizona.